9 septembre : Moi, carnivore !


Je me réveille dans mon petit pré fauché sous les pommiers, et m'étonne de ne croiser personne ce matin, puis je réalise que c'est la fête de l'indépendance, proclamée le 9 septembre 1991. Dans le Pamir, dont l'économie était soutenue à bout de bras par l'Union Soviétique, la nostalgie de cette époque se manifeste par les slogans des tee-shirts qui proclament "Russia" ou même "CCCP" ostensiblement. Quoiqu'ils vantent tout aussi souvent "Adidas", et qu'alors je n'en déduise rien sur leurs amours...
J'arrive au village de Razoudj où vivent 252 habitants sous la montagne, au bord d'un coude de la rivière. Une équipe d'ouvriers me hèle de loin pour m'inviter à déjeuner. Ce n'est pas encore l'heure, mais j'ai vu, sur un feu extérieur, la grande bassine où mijote le repas de midi, et je m'installe sur une estrade pour attendre en compagnie d'un professeur d'anglais convoqué pour l'occasion.
La maison va être agrandie d'un salon d'été aux larges baies ouvertes au sud. Après avoir été enfermés cinq ou six mois, cloîtrés par la neige, les pamiris se plaisent à vivre en plein air, et font tout pour en profiter. 
J'ai bien fait de rester déjeuner, car il y a deux morceaux de viande dans mon bol, et ce sont deux très beaux morceaux sans gras, avec un petit goût fumé très réjouissant. Non seulement le Pamir m'a appris que je pouvais rêver de nourriture, mais encore que je pouvais devenir carnivore !
Et pour cesser de m'apitoyer sur moi-même, à l'entrée du village suivant, Darzhomtch, 230 habitants sur l'autre rive, un vieux monsieur m'offre le dessert : des "chaftâlou" !
En Iran, j'ai assez parlé des "zardâlou", pour que vous sachiez que ce sont les abricots, alors maintenant, apprenons "chaftâlou" pour les pêches.


Razoudj , comme une oasis


Le playboy du village : on dirait qu'il va chanter "This melody".
Pourquoi ai-je choisi "This melody" à votre avis ? 
Cherchez la réponse avant de lire la dernière ligne *






Les perles d'eau douce d'une cuisinière très sympathique



Le professeur d'anglais de Razoudj



Hier, je parlais des cosmos. Aujourd'hui je vous les offre !






Les enfants de Darzhomtch





Il y a deux façon de faire sécher les abricots. 
La façon paresseuse implique de ne pas les cueillir, vous attendez qu'ils tombent, ou, à la rigueur, dans un jour de vivacité, vous demandez à un gamin de secouer l'abricotier. Vous les ramassez, ou vous laissez le gamin le faire, puis vous les étalez tels quels sur un rocher ou, en l'absence de rocher, sur le toit de la maison. Il y a toujours une échelle contre la maison pour hisser le foin, les fagots et les abricots. Les abricots meurtris par leur chute vont sécher au point d'être desséchés, et devenir secs, secs, secs et grisâtres, ce qui ne veut pas forcément dire moisis.
L'autre façon, plus courageuse, implique une opération supplémentaire nommée dénoyautage. Je n'avais pas alors le vocabulaire technique nécessaire pour tout comprendre de façon à être précis maintenant dans mes explications, mais j'ai quand même constaté que le dénoyautage était très traumatique pour les abricots (et pour les mains ?), et précédait le séchage. Les abricots martyrisés dégouttent sur le rocher, et cristallisent sous la brutalité dessiccative du soleil (j'avoue ici que je ne sais pas dire "dessiccative" en tadjik). Je les ai goûtés à même le rocher, et j'ai eu une sorte de caramel dur dans la bouche.
Sur la photo je distingue très bien les deux variétés d'abricots : les moins vifs, moins orangés, sont dénoyautés.
Devant les abricots, qui va croire que j'ai maigri ? Tous ceux qui auront compris que ces commentaires gastronomiques sont obsessionnels !




 Mon hôte se tient à l'extrême droite

Me voilà maintenant à l'entrée de Raouivd, (transcrit Ravivd à partir du cyrillique), 180 habitants, où je vais être accueilli, et nourri pour le dîner. Décidément, c'est une bonne journée, je vais même avoir mon premier œuf de poule dans la plâtrée de pommes de terre à l'huile, en regardant la télévision nationale. La propagande présidentielle y bat son plein ici aussi. Et la tente aux abords de la maison, entre trois petits peupliers, sur un carré de pelouse, va clore en toute tranquillité cette sinécure.  

Les poules qui pondent à Raouivd sont noires


Aujourd'hui : 24 km depuis les pommiers

*  Parce que : "...dans ce pays, dont les fruits sont si beaux qu'on se contente des noyaux..."




1 commentaire:

  1. Pamiris et Bretons = même combat ( être en plein air dés qu'il fait meilleur évidemment ) .
    Je me demande comment tu es rentré si anémié à la vue de ces photos et de tous ces visages avenants .

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