13 septembre : Et si mon ange gardien vivait à Dochanbé ?



Dochanbé, une petite ville attrayante


Au petit déjeuner, est servie la «pâte» nationale faite de sucre, de farine, de lait et d’huile, qui se mange à la cuiller, et doit nourrir son homme. Le cousin frimeur fait le coq, et s’enquiert des prix pratiqués en France pour les voitures, les téléphones, les vols aériens, et bien sûr de mon salaire. Avoir une Peugeot me situe dans une catégorie très privilégiée, mais alors être dépourvu de téléphone portable est incompréhensible. Il ne sait que penser. 



Je souhaite aller au centre ville, et je demande à mon chauffeur de m’y conduire. Las ! C’est le frimeur qui prend le volant de son propre minibus dont les vitres sont teintées, comme les berlines des mafieux qui pullulent…  Avec ses manières étudiées, et son look de gravure de mode, j’avoue qu’il ne m’est pas sympathique. A ce fils-à-papa envieux, je prédis, in petto, un avenir sombre de délinquant enrôlé dans des trafics transfrontaliers trop bien rémunérés. Pourtant, je voudrais rester indulgent devant sa situation dans ces contrées défavorisées, où les tentations sont de nos jours aussi fortes et impératives que chez nous. Le profond fossé entre rêve et réalité est forcément une circonstance atténuante.





Je veux aller chez un barbier, changer mon billet d’avion, et réserver une chambre à l’hôtel Vakhch dont s’étaient emparé les rebelles islamistes lors de la guerre civile. 
Le salon du barbier est tout à fait banal, mais le cérémonial très respecté. C’est le grand jeu. La lame du rasoir est passée à la flamme, le savon à barbe devient onctueux et le blaireau est souple. Le barbier qui n’est pas bavard se penche sur mon chef pouilleux avec un sérieux très circonspect. Je suis tondu, shampouiné, savonné, rasé à deux reprises, embobiné de serviettes chaudes. Je pleurniche un peu en tadjik quand la lame s’approche de ma gorge : «J’ai peur, j’ai peur». Je lui avoue que je n’ai en effet aucune expérience du rasage au sabre, parce que j’ai toujours craint un coup de sang du barbier au moment où la lame attaque ma gorge.
Ô Dieux des barbiers ! Ô Révélation ! Le rasoir est une plume, et j’ai une peau de bébé, je suis méconnaissable.  






Puis le frimeur m’emmène à l’aéroport, où je n’ai pourtant pas vu les bureaux d’Air Baltic à l’aller ; d’après lui, ils y sont. Je vais le quitter là, et il me demande 80 somonis ! Vous vous rappelez que j’ai payé 15 somonis pour 60 km, puis 250 somonis pour 550 km. J’entame donc les transactions par des cris d’orfraie, et «il n’aura pas plus de 10 somonis», et «son cousin a honte de lui». Pendant qu’il rabat ses prétentions à 30 somonis, je lui en donne 20 et c’est tout, pour tenir compte du petit-déjeuner. Evidemment, dans l’aéroport, il n’y a aucun bureau de compagnie aérienne, et je dois retourner dans le quartier du bazar Chah Mansour en reprenant un taxi, qui va me demander seulement 10 somonis, lui, et se démener pour dénicher Air Baltic de rue en rue, et de comptoir en comptoir. Nous avons le temps de papoter, et je sais ainsi que ses quatre enfants vivent à l’étranger : en Israël, en Suède, en Allemagne et en Tchéquie ! Le destin des jeunes tadjiks est bien d’être expatriés.



Le bazar Chah Mansour


Chez Air Baltic, les employés sont charmants, mais les règles sont draconiennes. La compagnie est en liste noire pour opacité des tarifs, et j’en ai déjà fait les frais. Malgré ma réservation qui autorisait 20 kg de bagages à l’aller, j’avais déboursé 20 euros supplémentaires à Roissy, car il s’agissait d’un "droit" et non d’un "acquit"…
A Douchanbé, pour modifier la date d’un billet, il faut ouvrir un dossier, c’est 100 euros d’emblée. Pour obtenir un nouveau billet, il faut forcément se surclasser, c’est au bas mot et au minimum 100 euros de plus. Il faut vous préciser que je me déplace sans carte de crédit, c’est comme ça, je crois quitter ma civilisation. Je commence donc par compter mes billets, et même mes pièces de monnaie. Ne pas oublier de garder à nouveau 20 euros pour les frais imprévus de retour des bagages, et si possible 8 euros pour le RER. Je n’ai pas trop envie d’aller à pied de Roissy à Montparnasse. En tout et pour tout, je possède encore 236,27 euros et 1,50 somoni en pièces indisponibles, pour la collection de Sylvie L.
Le vol du 15 septembre est trop onéreux et inaccessible pour moi, celui du 17 coûte 203 euros + 20 euros de bagages + 8,70 euros de RER : il me resterait 4,57 euros pour quatre jours et trois nuits… Je réfléchis vite fait. Il va falloir que je mendie une place gratuite pour ma tente dans un jardin privé, et avec mes deux dernières barres de pâte d’amande, je peux peut-être m’en sortir. Je sais bien qu’Air Baltic ne donne rien à manger, et que je resterai à jeun jusqu’à Morlaix. Je décide quand même de tenter le coup, et j’achète le billet !




Les quartiers chics où la tente m'attendrait


Comprenez que je ne veux pas rester une semaine de plus à Dochanbé dont j’aurai fait le tour en deux jours, et que je n’ai plus le punch pour alimenter ma curiosité dans les environs. C’est désolant, mais je suis lessivé, corps et âme !
Je m’enquiers d’éventuels gîtes pour « migrants », et c’est alors que la réceptionniste d’Air Baltic me suggère de quémander un lit dans une Eglise russe baptiste, dont le siège est trois rues plus loin.
Mais oui, voilà le signe du destin !
Avec beaucoup de gentillesse, son collègue m’y conduit en voiture et plaide ma cause auprès du pasteur, qui est exclusivement russophone. Un peu interloqué, le pasteur acquiesce cependant devant mon air déguenillé et squelettique… Sa secrétaire est pamirie et anglophone, et se passionne pour mon trajet dans le GBAO. Je suis interrogé sur ma famille (tout à fait honorable, malgré les apparences), sur ma religion (oui, je suis catholique et baptisé, c’est mieux que rien), et sur ma pratique religieuse (je prie ? «euh… je peins, c’est ma façon»), et, là, c’est quand même un mauvais point, mais «Dieu m’a envoyé vers eux». Je suis bien d’accord.
Puis le fils du pasteur m’emmène au réfectoire, et si Paris vaut une messe, moi je mange de bon cœur. Puis il me conduit «chez moi», dans leur maison d’accueil, où je vais avoir un étage entier pour moi seul : trois chambres avec lit occidental, douche et toilettes séparées !  
LE GRAND LUXE !


 
Un vrai hôtel prestigieux : combien la nuit ? .. pas pour moi !


Je traverse à nouveau le centre-ville à pied, pour retourner à «l’église» remercier le pasteur, et suis reçu à la nuit tombée par le gardien qui a été champion cycliste, et m’offre des gâteaux secs que j’engloutis. Il énumère ses places d’honneur, mais malheureusement je n’ai pas retenu son nom, alors que les champions tadjiks (et baptistes) qui courent sur les hauts plateaux ont certainement des palmarès impressionnants, et j’aurais dû demander un autographe.
Je rentre en restant bien dans les zones éclairées pour voir où je mets les pieds. J’arrive indemne à la maison. La vie est belle à Dochanbé !


L'Eglise baptiste de Dochanbé

Le bazar Chah Mansour : je vais y passer mes jours







Les fours à pain sont-ils devenus industriels ?


Ces coffres en fer-blanc seront peints de couleurs vives

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