17 septembre : L'Adieu aux Armes

Le certificat d'enregistrement sous mon seul prénom

L’attente dans la nuit est longue mais tranquille. Vers 3h30 la queue se forme pour l’enregistrement, et déjà la menace pèse. Devant le détecteur mes bagages sont passés, mais je suis refoulé, les mains vides, sans explication. En désespoir de cause, je sors tous les papiers officiels dont je dispose. Le passeport n’a pas suffi, le formulaire d’entrée est sans intérêt, le permis pour le Parc National est bon à jeter, … Ah ! Voilà le certificat d’enregistrement auprès de l’OVIR, obligatoire pour les séjours de plus d’un mois : c’est celui-là le sésame ! Hélas, mon nom n’y figure pas.
J’y suis habitué, ses consonances sont trop spécifiques du français : le «h» ici est un «x» avec crampon, c’est possible, mais le «u» n’existe pas, ni en son, ni en lettre, et «eau» est ininterprétable, pourquoi mettre «o» à la place ? Ne parlons pas du «x final» qui  devrait s’écrire «ks», mais alors il se prononce ! 
Ni l’alphabet arabo-persan, ni l’alphabet cyrillique ne conviennent, et en conséquence seul mon prénom figure sur le certificat, et l’employé prétend qu’un échange s’est produit, fort préjudiciable pour moi. Heureusement un tadjik dégourdi assiste au conciliabule et lit le numéro de mon passeport sur le certificat avec autorité : je suis sauvé.

Le contrôle des passeports est très, très long, très, très pointilleux, très, très sujet à caution. L’individu concerné est interrogé au guichet, puis est invité deux fois sur trois à en faire le tour jusqu’à la porte latérale où il engage des transactions, et met la main à la poche. Je l’ai vu.
Ma voisine, chercheuse française en anthropologie religieuse au Tadjikistan (je n’invente rien !) est excédée, mais fataliste : nous n’avons aucun recours, et être récalcitrant expose à manquer l’avion sans contrepartie. Je n’en mène pas large avec les 13 euros 27 centimes maigrichons qui me restent. Je suis tout prêt à les sacrifier, mais cela va-t-il suffire ? Lorsque vient mon tour, je suis d’emblée invité à la porte latérale : mon visa ne serait PAS touristique ! J’avais déjà eu un doute, car, de façon erronée ou délibérée, c’est effectivement un visa «C» et non «T». «C’est tout vu, ça ne permet pas forcément de passer les frontières !».  Je sens le vent du boulet, la chercheuse m’a mis en conditions. Bêta pour bêta, j’en ajoute des couches en répondant à tort et à travers, et en vantant les charmes des vallées du Pamir quand le sujet est tout autre. Oui, j’aime, j’aime le Tadjikistan, les tadjiks, le Pamir, la vallée de Bartang, le mouton gras et les danses villageoises. Devant cet abruti que je suis, la lassitude l’emporte et je suis congédié… du bon côté de la barrière !
N’ai-je pas déjà dit que mon ange gardien était tadjik ?

La française va me faire un tableau apocalyptique de la situation politique, et les jours suivants vont lui donner raison. Les conflits mafieux liés aux trafics de drogue font régulièrement des morts dans l’armée. Les rapports avec le voisin ouzbek sont exécrables, et dramatisent les relations familiales. Les villages dissidents d’une vallée proche ont été arrosés de napalm par les russes. La prostitution et le sida explosent dans Douchanbé. Le taux de suicides est effarant chez les jeunes.
Moins tragique, mais décourageant : les archéologues français ont été blackboulés car ils dataient la fondation de Samarcande à 2500 ans, et non à 2750 comme le veut la propagande gouvernementale. La cuisine est épouvantable, et son mari vient la chercher à Roissy avec un camembert qu'elle dévore dans la voiture. La viande est consommée rituellement dès l’abattage et elle est dure comme carne, alors qu’elle est d’excellente qualité, etc.



                    Le vol entre Dochanbé et Riga me paraît long, long, long


J’ai gardé mes 8,70 euros pour le RER !
A Montparnasse, chez « Paul », je sors tous mes reliquats de monnaie, et prend un air pitoyable mais séducteur pour demander à quoi j’ai droit :
Un sandwich «parisien» beurre-jambon, dont je rêve depuis 24 heures ! 
Ah ! oui ? 
Merci, Madame, quelle aubaine ! 
Et la serveuse m’offre le thé ! 
Il me reste en tout et pour tout 65 centimes d’euro. 
Peut-on mieux calculer ?
Le téléphone satellitaire qui détectait son réseau en trente secondes dans le Pamir, ne veut rien savoir sur l’esplanade de Montparnasse. Les badauds s’étonnent de mes tentatives d’orientation à bras levé vers le satellite, et vers le sud-est. Personne ne sait où je suis.

Et deux jours plus tard, je peux me féliciter d’avoir eu du flair en précipitant mon départ. Dans la vallée de Racht, à 180 km de Douchanbé, un "groupe terroriste islamique tadjik, afghan, pakistanais et tchétchène" attaque l'armée et cause 40 morts, 20 blessés, 25 disparus. J’imagine les perturbations dans les aéroports. Je n’aurais jamais atteint mon avion…


Vous en avez presque fini,
je n'ai plus qu'une seule petite carte postale à vous envoyer.

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