6 septembre : Briser la glace






A l'altitude de ce confluent, 2580 mètres, les nuits sont maintenant presque chaudes, et je dors en caleçon, bercé par le crépitement de la pluie.  Au matin, j'attends une éclaircie et plie une tente mouillée. S'il est question de jour maussade, cette fois, c'est juste une question de météorologie !


Au loin, le village de Savnob



Les bottes de foin nouées







Le village de Savnob compte 322 habitants, et je tombe sur le seul gars "muet" du coin, figé dans de vastes réflexions intimistes entre lui et son ego. Dans son silence, il me tient pourtant compagnie, si l'on peut dire, et favorise inconsciemment ma propre introspection. J'entre malgré tout dans une "belle maison" pamirie où des tomates me sont offertes, qui me ravissent. Avec du sel ! Il faut savoir, pour apprécier mon euphorie, qu'ici les tomates se nomment "pomidor", et non "gowdjé farangui", sont appétissantes, mais surtout que ce sont les toute premières tomates tadjiques que je vois. C'est une révélation culturelle, oui, certainement, mais la dégustation gourmande l'emporte de loin, je l'avoue, sur la curiosité linguistique et potagère. Au Tadjikistan, j'ai appris avec étonnement que je pouvais rêver de nourriture.
Ici encore, alors que je pensais être dans une petite pension, la collation est gratuite, je suis invité. Cette escouade de femmes généreuses, bavardes comme des pies, a fait fuir le muet. Par discrétion elles ne s'intéressent pas à moi pendant que je mange, jusqu'au moment où je propose de les photographier. Mes propres photos familiales les intéressent au plus haut point quand je précise que Quentin est célibataire, aimable et beau, et de plus franco-espagnol. Depuis lors, les deux plus jeunes d'entre elles, pas encore nanties de maris, rêvent de Barcelone...


Si ça t'intéresse, Quentin, elles sont à gauche toutes les deux...






Au fond, la rivière grise, prise dans ses gorges



Je quitte Savnob






Entre Savnob et Nissour, je monte lentement sur le plateau, et les nuages découvrent par intermittence le glacier qui descend du mont Lapnazar, culminant à 5990 mètres.  Grâce à ce glacier sous mes yeux, je subodore que les divinités du lieu veulent me consoler de mon échec devant le Grum Grjimailo. Je suis ragaillardi malgré la rudesse inhospitalière des reliefs nus. Cette austérité est pourtant aggravée par la présence d'une petite base militaire, équipée d'une aire d'atterrissage, figée dans un silence hostile. Je la devine de loin, et mon approche interminable passe juste sous ses fenêtres, puis je m'en éloigne d'un pas qui se veut égal, m'efforçant de ne jamais me retourner, impatient devant la lenteur de l'éloignement, persuadé d'être interpellé, rattrapé, convoqué, et finalement appréhendé : réflexes vivaces du trekkeur iranien qui sommeillent encore en moi.         



A nouveau, le village de Nissour, 224 habitants









J'arrive à Yapchorv dans une tempête de sable et une menace de pluie mise à exécution, et je suis convié à m'abriter, et à déguster des abricots secs de "Chez Sec", et du pain noyé dans du milk : le chir-tchaï s'appelle milk ici pour faire chic sans doute, mais y'a pas même de beurre de soja !
Le temps reste maussade, et j'accélère le pas pour atteindre la tchaïkhâné isolée, où je sais pouvoir dormir tranquille. A ma grande surprise je me heurte cette fois à un mur, je crois comprendre "na mehmoun-hâ", qui signifierait "pas d'invités". Je suppose que c'est le jour de fermeture, mais ne comprends pas pourquoi je ne peux pas même planter ma tente...
Il fallait sans doute une exception à l'hospitalité générale !
Je continue sur 500 mètres, ça fait 39,5 kilomètres, et trouve un carré de "pelouse à la bouse" sur la berge, et je dors comme un ange, na !







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