3 septembre : Comment avoir le poil brillant







Le long de la rivière Tanimas, il n’est plus question de gorges encaissées, de flots impétueux, de passerelles, ni de villages. La vallée est très large et déserte, la rivière se démultiplie en bras sinueux infranchissables en cette saison.





Les vastes berges sont par endroits couvertes d'une croûte blanchâtre à laquelle je n'ai pas trouvé un goût particulièrement salé, mais j'ai considéré que c'était quand même un bon reconstituant en sels minéraux.





Le long de la rivière Tanimas, on vient pour se lustrer le poil : y croissent en effet les hippophae rhamnoïdes, connus dès l’antiquité pour leurs propriétés médicinales, et actuellement consommés par les équipes olympiques chinoises. Malgré la réputation élogieuse de ces arbustes, je ne croiserai personne dans ces parages, si ce n’est un vacher et ses vaches qui n’en mangeaient point.






Les hippophae rhamnoïdes sont plus connus sous le nom d’argousiers, à ne pas confondre avec les arbousiers. Leurs fruits que j’aurais pu récolter, pile à la bonne saison, sont trente fois plus riches en vitamine C que les oranges, et exactement trente fois plus petits (comme quoi la nature a un réel sens de l’équité). Je suis extrêmement dépité depuis que je suis rentré à Roscoff, car, sur place, malgré ma préparation minutieuse du voyage et ma découverte préalable des argousiers, je n’avais plus de certitude sur leur aspect réel et je n’ai pas osé m’en goinfrer. Ils m’ont paru maigrichons et agressifs, alors que j’avais simplement retenu qu’ils étaient arbustifs, épineux, avec de petits fruits orangés.
Mais c’était bien les argousiers ! J’aurais dû être plus confiant envers ma mémoire, et me jeter dessus sans arrière-pensée. J’avais aussi appris qu’ils se consommaient en confiture ou en gelée, et moi, ç’aurait été crus, et d’ailleurs pour les vitamines c’est mieux.


 




Ah ! J’oublie de dire que l’étymologie de leur nom grec met leur principale qualité en exergue : les chevaux qui les broutent, feuillages et rameaux compris, ont le poil luisant, et … prennent du poids ! J’avais ainsi tout ce qu’il faut sous la main, et je suis resté devant, à les photographier comme un benêt…
C’est bien fait si je suis terne et rachitique.
Tiens, cela me fait penser qu'il y a là un autre exemple de la prudence excessive dont j’ai fait preuve : si j’avais été accompagné je les aurais certainement goûtés, mais seul, j’ai craint sottement d’être terrassé sans secours…










Ici, en reconnaissant l’éperon rocheux de la forêt de Kok Jar que j’avais examiné en photos aériennes sur internet, j’ai eu la bonne surprise d’avoir avancé plus vite que prévu. (Par cette précision, je veux prouver que j’avais effectivement très minutieusement préparé cette déambulation, même si j’ai eu un doute sur l’aspect des argousiers).
J’étais très motivé pour atteindre ce but depuis que j’avais lu sur ma carte du Pamir que la forêt de Kok Jar était classée «forêt remarquable», en anglais «outstanding forest». J’avais bien constaté pourtant sur les photos aériennes que c’était un tout petit bosquet, mais un tout petit bosquet peut probablement être remarquable. Malheureusement, une fois sous les frondaisons, j’étais bien en peine de définir l’espèce végétale, mais par contre elles étaient, c’est vrai,  «remarquablement» accueillantes pour héberger ma tente, et c’est bien le principal.







 



Avant ça, j’avais remonté la vallée, plus au nord, sur des boulevards de terre séchée craquelée, et trop confiant dans la facilité de progression, j’étais tombé dans le piège des boues mouvantes. Les boues mouvantes font partie des vases mouvantes, elles-mêmes apparentées aux sables mouvants du Mont Saint Michel (mais sans le galop des marées. Quoique les crues…). Les boues mouvantes sont très très collantes. Si on en sort, comme moi qui vous parle, il est très difficile de s’en débarrasser : j’ai éliminé les derniers reliquats, ici, en allant me baigner sur la Grande Grève, c’est dire. Pour modérer le propos, je précise que le dernier reliquat était sous le pansement de mon tibia, pansement que j’ai gardé cinq semaines sans y toucher…
Quand on s’enfonce brusquement dans les boues mouvantes, on regarde vite les environs à la recherche d’un tronc pour lancer le lasso (hélas, je n’en avais pas), à la recherche d’une âme qui vive, tout en sachant pertinemment que les boues sont a priori désertées. Par une chance inouïe, favorisée par mon faible poids (oups ! je ne me suis pas goinfré de fruits d’argousier !), mon talon a rencontré un obstacle dans la boue, alors que mes genoux n’avaient pas encore complètement disparu. A partir de là, vautré dans cette boue, j’ai réussi à extraire l’autre pied avec sa sandale. Ensuite, remugle après remugle, le premier pied est sorti mais sans sa sandale, ce qui était proprement (sic) inadmissible. Donc, sale pour sale, d’une seule main j’ai foré la boue avec l’énergie du désespoir jusqu’à saisir l’objet précieux, et me suis traîné gluant vers la rivière, en priant cette fois pour ne pas rencontrer âme qui vive.
Et je suis là pour en parler.





Cette photo, prise aussi à Kok Jar, est là pour illustrer les gués. C’est un peu dommage, car ce n’est pas du tout spectaculaire, et vous allez croire que c’est trop facile à traverser. En fait, même si l’eau ne monte pas à mi-cuisse, le courant est suffisamment puissant pour exiger un contrepoids, le fond est suffisamment glissant entre de gros galets pour nécessiter des chaussures, la température est suffisamment basse pour annihiler toute perception, il vaut mieux ne pas perdre de temps (ni plonger), et le sac est suffisamment lourd pour entraver vos sursauts d’équilibriste. Donc on ne sait jamais si l'on va arriver indemne de l’autre côté. Ici, j’avais scrupuleusement analysé les variations colorées depuis la falaise pour savoir exactement où passer : sûrement pas en ligne droite !  Obliquez d’emblée vers la droite jusqu’aux galets secs (en haut de la photo) même si cela comprend une douzaine de mètres, ensuite pivotez de 310° vers la gauche pour franchir la zone profonde là où elle est  un peu fragmentée, et au niveau des cailloux émergés tournez-vous vers la droite pour rejoindre la rive. Vous aurez parcouru 25 ou 30 mètres au lieu de 13 mais vous serez presque entièrement secs !




C'est ce petit torrent bleu, qui se jette dans la rivière grise, qu'il fallait traverser. Vu d'ici, il contient quand même pas mal d'eau.






Aujourd'hui : 19 kilomètres

1 commentaire:

  1. Tu parles de "prudence excessive" !
    Elle n'est pas excessive, elle est normale, voyageant en solo dans un décor sublime, ne rencontrant pas âme qui vive, et sans elle je n'aurai pas le plaisir de te lire et de découvrir ce beau pays.
    Marie Hélène

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